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La chimie de l’aquarium récifal "pour les nuls"

Rubrique : Technique
Auteur : JLC
Niveau : Débutant

On peut être nul en chimie et n’avoir aucune envie d’en connaître plus, c’est un droit (que je concède volontiers ayant souffert sur les bancs de l’école nationale de chimie de Paris). Mais être aussi un aquariophile passionné du monde marin... Alors bien que le sujet soit peu engageant, je vais tenter une approche brève et simplifiée du problème car il faut malgré tout retenir deux ou trois points clés !

L’eau de mer, c’est quoi ?
L’eau de mer contient du sel. Cela n’est pas nouveau, le sel c’est NaCl, du chlorure de sodium, en cuisine cela donne le goût… salé. En fait ce sel caractéristique n’est pas l’unique composant de l’eau de mer.
L’eau de mer est constituée par de l’eau pure (notre bonne vieille H20) dans laquelle est dissous un mélange :

  • Du chlorure de sodium
  • Du chlorure et sulfates de magnésium
  • Du chlorure de potassium
  • Du chlorure et sulfates de calcium
  • Des carbonates de calcium
  • Une multitude d’éléments divers ; métaux, etc. que l’on nomme éléments 'traces' car ceux-ci n’interviennent qu’en faible quantité même si leur rôle est loin d’être négligeable.
Nous allons encore simplifier la composition des différents composants et retenir que l’eau de mer contient :
  • Des sels de sodium
  • Des sels de calcium
  • Des sels de magnésium
  • Des sels de potassium
  • Des carbonates
  • Des éléments traces
L'aquarium est rempli initialement d'eau douce et d'un 'sel' complet à usage marin jusqu'à obtenir la densité de 1025, celle du milieu naturel. On s’attend alors à ajouter un peu d’eau pure pour compenser l’évaporation. Et c'est pourtant insuffisant. Pourquoi ?

Dans un aquarium récifal les animaux et végétaux marins puisent directement de l’eau les éléments nécessaires à leur métabolisme (édifications des squelettes, des coquilles, etc.). Cette consommation, ou calcification, utilise les composants dissouts dans l'eau.

Les éléments qui sont principalement utilisés sont :
  • Le calcium
  • Les carbonates
  • Dans une moindre mesure ; Le magnésium
Une partie des autres constituants, notamment les éléments traces appelés 'oligoéléments', sont aussi exploités par les organismes et leurs concentrations s’affaiblissent peu à peu. Selon les populations maintenues dans l'aquarium les éléments sont puisés en plus ou moins grande quantité, les consommateurs 'champions' sont les coraux durs bâtisseurs (hermatypiques).

Si on se contente de faire le niveau avec de l’eau douce il va y avoir des carences !

Faut-il ajouter de l’eau un peu salée à la place de l'eau douce pour éviter les carences ?
Bonne question, la réponse est Non, car ces éléments sont retirés dans des proportions différentes de celles contenues dans l’eau de mer naturelle, si calcium et carbonates sont utilisés, les sels de sodium et potassium ne sont que peu retirés. De plus chaque population d’aquarium va puiser de façon propre et individuelle dans l’eau ses constituants de croissance. Il n’y a pas de mélange universel pour compenser cet effet1.

Autre difficulté, si le mélange initial est stable, l’épuisement d’un constituant perturbe l’équilibre chimique et entraine des réactions et variations de proportions des autres éléments.

Or la croissance, voire la survie, des animaux est liée au maintien dans des proportions exactes des taux de calcium, magnésium et de carbonates. Il faut intervenir si le taux de calcium tombe sous 370 mg/l, si la dureté carbonatée descend sous 7°dKH ou si le magnésium est sous la barre des 1000mg/l (chiffres correspondants à une densité de 1025 ou 35 g de sels par litre).

Il est important de mesurer très régulièrement, une à deux fois par mois, selon son expérience, les trois paramètres clés : Calcium, dureté, magnésium.

Si l'observation attentive de l'aquarium est indispensable pour déceler les dérives, elle n'est pas suffisante pour débusquer une carence qui n'a pas encore (et c'est tant mieux) de conséquence sur les animaux de l'aquarium. Le manque d'expérience fait également que les symptômes sont plus difficiles à déceler. Pour cela des 'kits' de mesure sont disponibles, ils sont loin d'être parfaits, mais il faut faire avec...

Comment intervenir ?
L’intervention de routine consiste à changer une partie de l’eau de l'aquarium par de l'eau salée neuve, opération effectuée chaque semaine (au moins 5%) ou chaque mois (au moins 20%). Au terme de plus longues périodes (trois mois, six mois), un changement plus significatif (50-60%) replace les paramètres à leurs valeurs nominales. C’est efficace, sans danger si le mélange est préparé avec soin et les constituants (eau douce y compris) d’excellente qualité. CF : nanoZine De l'eau et du sel. L’avantage est aussi de compenser l’épuisement des éléments traces non mesurables car les sels à usage marin sont très complets. N'ayez pas la crainte de retirer de précieux animalcules par les changements d'eau, l'aquarium ne contient que très peu de zooplancton ou phytoplancton et n'est pas réellement pénalisé par cette perte temporaire. Un sel dit 'enrichi' ou 'reef' destiné aux aquariums fortement peuplés en scléractiniaires peut être un bon choix, cependant il faut juger pertinemment des effets produits.

Aparté pour une simulation de l'effet d'un changement d'eau. Cette simulation est imparfaite car elle ne tiens pas compte de paramètres difficiles à modéliser, mais cela permet d’évaluer grossièrement l’efficacité de la stratégie de changements d’eau.
La simulation actuelle fait l’impasse sur des paramètres tels que les variations de consommation en fonction des concentrations, les effets que produisent sur la chimie de l’eau les différents taux qui interagissent entre eux, etc. Ainsi dans ce modèle il est possible d’avoir des concentrations négatives (!), cela à donc des limites mais en tenant compte de ces restrictions, c'est également instructif.

Cette simulation comporte 2 feuilles de calcul Excel, une pour l’accumulation d’éléments indésirables qui sont retirés de l’aquarium par le changement d’eau (pris comme exemple les nitrates), l’autre pour le remplacement d’éléments consommés ou vitaux au métabolisme des animaux (pris comme exemple le calcium). En effet ces deux effets sont obtenus par la même opération.

Pour celle concernant le remplacement des éléments en carence, l'exemple pris est le calcium. Il est possible d’introduire la quantité initiale, la quantité consommée chaque jour et celle introduite par un moyen quelconque (RAH, RAC ou solution de chlorure de calcium), le pourcentage et la fréquence de changements d’eau réguliers ainsi que l’action de changements inhabituels de plus grand volume.

Deux stratégies sont confrontées et mise sous forme de graphique pour une comparaison de leur efficacité.

Premier exemple : Sont prises les hypothèses : Consommation de 1mg/l/jour de calcium, apport de 0,8 mg/l dans la stratégie n°2, changements d’eau de 5% par mois et 20% tous les trois mois.
On voit qu’un apport proche de la consommation permet d’éviter les changements d’eau, cependant les autres éléments consommés de même manière (carbonates, magnésium, éléments traces) doivent être également compensés. La stratégie d’un échange de 5% par mois et 20% tous les trois mois est bien insuffisante pour ne pas infléchir sensiblement la descente.

Deuxième exemple Sont prises les hypothèses : Consommation de 1mg/l/jour de calcium, apport de 0 mg/l dans la stratégie n°1 et 1,5 mg/l pour la stratégie n°2, changements d’eau de 5% par mois et 20% tous les trois mois.
Un excès aura les mêmes inconvénients qu’un déficit et les changements d’eau limités ne peuvent remédier à un écart de plus de 0,5 mg/l/jour.

Troisième exemple Sont prises les hypothèses : Consommation de 1mg/l/jour de calcium, apport de 0,5 mg/l pour les deux stratégies. Dans la stratégie n°1 les changements d’eau sont de 5% par semaine, dans la stratégie n°2 mois de 20% par semaine.

L’efficacité de changements significatifs (au moins 20%/semaine) dans cette configuration est évidente.

Quatrième exemple… votre configuration. La simulation sur Excel est en téléchargement libre à l’adresse http://microrecif.ovh.org/nanozine/evolutions.xls Vous devez faire une mesure de votre taux de calcium avant et après changement d’eau pour évaluer le déficit quotidien (quantité consommée – apport). Il reste à tester la meilleure stratégie pour rester à une valeur compatible avec votre population animale.

On voit que malgré les changements d’eau il y a un risque d'appauvrissement progressif. Si une carence notable d'un des paramètres est constatée il est nécessaire d’intervenir pour compenser la dérive de celui-ci. La règle de prudence est de ne modifier que de 1 à 2 % par jour la concentration d’un paramètre pour ne pas stresser les animaux. Il faut y aller pas à pas, lentement, en diluant bien car une élévation brutale peut aussi détruire l’équilibre chimique.
  • Les ‘buffer’ mélanges de carbonates vont augmenter la dureté carbonatée
  • L’ajout de solution calcium ou magnésium prêtes à l’emploi sont efficace pour ajuster les taux réciproques à leur valeur optimale.
Attention : Un surdosage peut avoir des conséquences inverses à celles espérées.

Il faut intervenir sur un des paramètres (carbonates, calcium ou magnésium) indépendamment des autres puis de juger après quelques heures de l'effet produit sur ces 3 paramètres clés.

Et les réacteurs ?
Les réacteurs à hydroxyde de calcium (RAH) et à calcaire (RAC) sont utiles pour compenser l’épuisement naturel des aquariums contenant des coraux durs, grands calcificateurs devant l’éternel. Ils présentent également des avantages connexes, comme la précipitation des phosphates pour le RAH. Aussi si la population de votre aquarium est composée de nombreux scléractiniaires il est intéressant de placer un des modèles de réacteur dans votre aquarium, voir les deux pour les plus habiles. Un RAC est certainement un peu plus difficile à maitriser mais cet équipement ajoute conjointement calcium et dureté carbonatée d'une manière simultanée (parfois trop de carbonates). Ce peut être même une solution économique dans un grand aquarium et si vous faites beaucoup d'ajouts de solutions prêtes à l'emploi. Cependant il est important de ne pas sur-dimensionner les réacteurs pour ne pas obtenir un effet contraire. Dans tous les cas d'utilisation de réacteurs la surveillance du pH s'avère indispensable et l'automatisation (automate industriel par exemple) très utile. Dans nos petits aquariums (moins de 200 litres) l'emploi de ces réacteurs n'est pas indispensable car les additifs liquides sont économiquement rentables et les changements d'eau facilement significatifs.

Souvent pH varie...

Dans l'aquarium le pH varie car il dépend en partie du taux de gaz carbonique (CO2) dissout dans l'eau, celui-ci se combinant à H2O pour former de l'acide carbonique H2CO3. La concentration en gaz carbonique dépend de l'activité photosynthétique des plantes y compris les zooxanthelles symbiotiques des coraux. Lors de la période de photosynthèse le gaz carbonique est synthétisé en carbone organique et de l'oxygène est libéré alors qu'en phase nocturne ce phénomène s'inverse. En milieu naturel cela n'a aucune conséquence, dans l'aquarium le très faible volume d'eau n'assure pas le 'lissage' des variations et nous devons essayer de réduire les baisses nocturnes par quelques moyens à notre disposition :
  • Une bonne oxygénation par un fort brassage augmente la quantité de gaz dissous et rétabli les équilibres gazeux. Cela à un donc un effet réducteur sur les concentrations de CO2. L'écumeur participe également de ces échanges.
  • Une bonne maintenance évite les dégradations organiques qui ont également tendances à abaisser le pH.
  • Dans une eau fortement chargée en calcaire, il y a absorption de l'acide carbonique qui se combine au calcium pour former du bicarbonate de calcium. Une eau calcaire est dites dure et elle va jouer le rôle de tampon en s'opposant à la formation d'acide carbonique. C'est pourquoi nous essayons d'avoir toujours une dureté supérieure à 7° dKH. Le buffer est donc aussi ajouté pour limiter les baisses ou variation de pH. C'est très efficace. Ce pouvoir d'absorption lié à la dureté est appelé alcalinité. Il ne doit pas être confondu avec un pH basique, bien que le résultat soit apparemment le même.
  • Si un refuge algal est connecté à l'aquarium principal il est très intéressant de l'éclairer en phase inverse de l'aquarium principal.
  • L'effet d'un RAH est d'utiliser le CO2, il augmente aussi le pH. Il est donc utile de procéder à sa mise en service au moment judicieux, c'est à dire en seconde moitié de nuit ou au petit matin et de temporiser son action en cours de journée.
  • Un RAC à l'effet inverse et risque d'abaisser le pH, dans ce cas il est peut être prudent de l'arrêter ou le réduire dans le cours de la nuit.

Et en ce qui concerne les éléments traces ?

Pour ces éléments impossibles à mesurer de façon simple il est d’usage d’ajouter de manière systématique dans l'aquarium des solutions du commerce prêtes à l'emploi :
  • De l'iode
  • Du strontium
  • Des oligoéléments (éléments traces)
Ce peut être fait en respectant les consignes indiquées sur les produits du commerce et jamais en 'sur dosant' les quantités prescrites pour 'mieux faire'. Pour être efficaces, ces produits doivent être ajoutés très régulièrement. Les changements d'eau sont également un moyen de bien supplémenter les éléments traces.

Pour aller plus loin : Quelques notions de physique-chimie

1La méthode 'Balling' est une solution apportant calcium, magnésium et carbonates de façon équilibré. Bien dosé cela évite la mise en service d'un réacteur pour un aquarium de petit volume ou faiblement calcificateur.

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